Atelier d'écriture CHEMIN DE FAIRE à Créon, septembre 2019

Publié le par GFEN 33

Créon, le 14 septembre 2019

Pour la troisième année consécutive le GFEN a animé l'atelier d'écriture de cette manifestation. En plein air, sous les arbres, au bord de la piste cyclable, nous avons pris le train de l'écriture et avons fait de belles rencontres. Sur place et dans le train imaginaire que nous avons pris ensemble.

Voici quelques textes issus de ce voyage:

Bobby hésite. Avec sa main gauche il vérifie pour l'énième fois si son foulard est bien positionné autour de son cou. Ce qu'il vient de voir à travers la vitre est trop beau pour être vrai. Une femme entièrement nue sur un chemin de campagne. En plus elle courait. Il a eu le temps de constater comment ses seins rebondissaient au rythme de sa foulée. Il en a profité aussi pour saisir l'image de son sexe. Malheureusement il était caché sous une épaisse touffe noire, empêchant de voir ce qu'il y avait dessous. Et il a eu une pointe de déception. Mais c'est tout de même surprenant de voir une telle scène depuis le train. Et cela s'est passé juste au moment où il a regardé à l'extérieur. Pour faire une pause visuelle dans le contact qu'il a établi avec le curé assis en face de lui. Bobby ignore si le curé a vu la même chose. Secrètement il espère que non, car il ressent un peu de jalousie à l'idée qu'il devrait partager sa vision d'il y a un instant avec un homme d'église. 

Oui, trop beau pour être vrai. Il ferme les yeux et essaie de visualiser ce qu'il vient de voir. Elle court, une belle petite foulée. Ses seins, son sexe, il sourit à leur évocation. Si ça se trouve, elle l'a aperçu à son tour derrière la vitre. L'a-t-elle regardé? Mais qu'est-ce qu'elle regardait au juste? Où allait son regard? Il se rend compte qu'il n'a pas pris la peine d'observer son visage et focalisé uniquement sur ses attributs féminins, comme d’habitude. L'expression sur son visage, son regard, au fait, il n'en sait rien. Et ses pieds? Portait-elle des chaussures de footing? Il n'a pas fait attention non plus et il le regrette maintenant. Si elle courait pieds nus, cela veut peut-être dire qu'elle s'est enfuie. Cela expliquerait aussi sa nudité. Car faire son footing toute nue à la campagne n'est pas chose courante, toute réflexion faite. Mais bordel de merde, mais pourquoi n'ai-je pas fait plus attention? Pourquoi ai-je regardé seulement son con et ses seins? S'il avait regardé un peu plus haut, il aurait été fixé maintenant: le regard de quelqu'un qui fuit n'est pas celui de quelqu'un faisant son footing hebdomadaire. La peur et la panique n'ont rien en commun avec la détente ou l'effort sportif. Il s'en veut terriblement. Cette femme était peut-être en danger. Ou pas. Il n'en sait fichtrement rien.

Il regarde le curé. Sa bouille ronde s'est transformée et dans ses yeux Bobby lit de la panique, de la peur. Il en déduit qu'ils ont assisté à la même scène.

"On devrait peut-être prévenir la police, non? lui demande Bobby en se penchant en avant pour ne pas avoir à lever la voix. Le curé secoue la tête.

- Non, dit-il, je vais aller le sortir moi-même du pétrin dans lequel il s'est mis.

Bobby fronce les sourcils. Le?

- Pardon, reprend-il, je comprends pas, c'était bien une femme non?

Le curé secoue de nouveau la tête.

- C'était mon fils, monsieur, il a besoin d'aide. Je l'ai vu comme s'il était vraiment là.

Bobby se laisse retomber dans son siège, perplexe. Son fils... Mais il est bizarre ce curé, il ne sait même pas distinguer un corps de femme d'un corps d'homme. En face de lui, le curé se redresse soudainement comme s'il venait de faire une découverte.

-Comment avez-vu pu voir ma vision? demande-t-il, interloqué, à Bobby.

-Eh, bredouille Bobby, chais pas, moi, mais on regardait bien tous les deux par la vitre non?"

Le curé secoue de nouveau la tête, porte sa main à son menton dans un geste d'incrédulité, dépossédé. Bobby vérifie encore une fois, de sa main gauche, son foulard en se demandant ce qu'il a réellement vu et si ce qu'il a vu était bien réel. Il colle son visage contre la vitre pour essayer de regarder le paysage laissé derrière eux. Au loin, au bout d'un chemin, il aperçoit juste une silhouette.

                                                                                                 Plume

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Nelly Cracov partie ce matin par le train de Köln avait chassé sa mélancolie coutumière, elle se rendait à Paris voir une amie qu'elle n'avait pas revue depuis longtemps.

Les souvenirs défilaient...

Ses yeux bleus, bleus outremer brillant d'intelligence clignaient souvent, peut-être le soleil lui envoyait- il des signes, elle n'avait pas de doute sur le chemin emprunté,..

 

Lorsqu'elle était jeune la vie prenait sa place de présent parfait, elle désirait s'immerger dans ce passé présent parfait. Elle voulait oublier son âge, le rythme de son cœur lui suffisait! Des dreadlocks couronnaient sa tête burinée, sous sa robe longue ses pieds nus lui rappelaient que la terre était ses racines. Dans sa valise en cuir elle avait choisi une tenue affriolante au cas où un homme lui donnerait l'envie de se laisser aller.

 

Au rythme du train, les souvenirs défilaient....

Lorsqu'elle vit par la vitre du wagon une éolienne seule, perdue au milieu d'un champ entourée d'une bande de chevaux sauvages broutant à son pied ! Ce blanc s'élançant vers le ciel, ces chevaux à la robe noire lustrée, leurs crinières s'envolant ; Nelly sourit, la beauté de la nature venait l'encourager. Heureuse elle se tourna vers un vieux monsieur qui semblait profondément enfoui en ses pensées. Il lui raconta sa guerre d'Algérie n'ayant pu avoir d'enfant, lui confia avoir vu un taureau privé de sa descendance. Il en avait été rassuré !

 

Comme la vie est étrange, songea Nelly, et comme nous nous racontons des histoires, jusqu'à la fin.

Elle n'en avait pas terminé avec elle, cette sauvageonne ! Elle avait décidé qu'elle vivrait longtemps, très longtemps.

Arlette Sarger

 

 

Publié dans Ateliers Nomades

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