Atelier d'écriture avril 2017: La porte

Publié le par GFEN 33

ATELIER D’ECRITURE de avril 2017

LA SYMBOLIQUE DE LA PORTE

La porte comme l’élément essentiel pour l’écriture de scenarii à l’infini

Tout a commencé par une rencontre avec un auteur et son livre.

Edouard Dor (avec un seul o, signe prémonitoire ? « door » en anglais signifie porte), auteur d’un magnifique petit livre, « Quand la peinture se joue des portes », débute ainsi son ouvrage :  

          «  A notre premier rendez-vous, au Muséum of Art de Philadelphie, j’ai failli ne pas le voir…Je suis passé à côté. Deux salles plus loin, ne le trouvant toujours pas, je suis revenu sur mes pas. C’est alors que je l’ai aperçu : l’Intérieur, dit aussi Le viol – un tableau d’Edgar Degas réalisé vers 1868-1869.  L’atmosphère était pesante et, machinalement, j’ai cherché une issue. C’est alors que j’ai vu la porte derrière l’homme et que j’ai commencé à imaginer l’histoire que racontait ce tableau. Il serait plus juste de dire : la première histoire, car depuis que j’ai fait connaissance avec cet « Intérieur », ce sont des dizaines d’histoires que je me suis racontées…

 Je me suis rendu compte que l’un des éléments essentiels de cette scène était sans doute celui qu’on distinguait le plus mal : la porte de la chambre… Celle-ci m’a frappé parce qu’on la voit à peine et qu’elle résume tout… On ne les voit pas mais elles sont, à chaque fois, un élément du décor, un élément de l’histoire, et sont, à chaque fois, essentielles à l’œuvre…

Résultat : le peintre nous a donné les éléments d’une histoire … sans nous la raconter !… a fait en sorte que nous puissions imaginer plusieurs récits à partir de son tableau… A partir de là, nous avons l’étrange impression qu’il nous a laissé la responsabilité d’écrire le scénario. »

C’est ce que je vous propose de faire ce soir en travaillant sur la porte comme l’élément essentiel pour l’écriture de scenarii à l’infini, car de tous les objets qui font notre quotidien (et Dieu sait que nous en ouvrons et en fermons des portes chaque jour !), elle est sans doute de ceux qui sollicitent spontanément le plus notre imaginaire.

Marion Monteyrol

 

DEMARCHE (pour 6 tables):

 

  • Déambuler selon un circuit déterminé à l’avance (sortir de la salle par le bar, sortir dans la rue et rentrer par l’autre porte du théâtre pour revenir dans la salle), tout en regardant les images exposées aux murs.  (Déambulation des participants devenant actifs dans la symbolique de la démarche : ouvrir et fermer des portes, sortir et entrer dans le lieu de l’atelier au moment du choix des images 10mn

 

  • Recommencer la déambulation, choisir une image sur le mur et la décoller 10mn                                                

 

  • Faites un inventaire (liste), de ce que vous voyez sur votre image 15mn

 

  • Ecrivez un acrostiche avec  un des mots de votre liste 20 mn

 

  • Passez l’acrostiche produit et votre image de porte à votre voisin de gauche.

 

  • Pliez l’image reçue en deux dans la largeur. Ce sera la porte de votre écriture (je montre) – 10 mn

 

  • Vous allez écrire maintenant un texte en combinant l’inventaire de votre liste avec l’acrostiche à l’intérieur de votre image (verso de votre porte écrit limité au cadre de  celleci) .Ce texte sera à garder pour vous et sera non lu - 25mn

 

  • Distribution des 6 textes photocopiés (6 par table), lecture par table d’un texte 10mn

 

  • Chaque participant choisit un des textes.

 

  • Découper une porte (selon gabarit fourni) dans le texte choisi (méthode du cutup = décomposition) – 10 mn

 

  • Ecrire son texte final en incorporant le texte découpé dans le premier texte que vous avez écrit sur la partie droite. La production sera lue. 25 mn

 

  • Lecture du texte final - Partage et retour – 45 mn

 

Et voici quelques textes écrits lors de cet atelier

Le texte de Daniel:

En Arles, un roi souhaita défier le protocole, ouvrir une porte, se frotter à la rudesse de ce panneau de bois. Il prétendit vouloir pour souper brochettes de mouettes nébulophobes, au grand dam du chambellan qui avait inscrit au menu «mouillettes d'ortolan et dredons incarnats». Pour vaincre l'hésitation des courtisans Sa Majesté se fendit d'une brassée de cigares pharaoniques qu'il leur offrit et qu'ils fumèrent au plus vite, saisis de joie perverse par cette munificence. La cour disparut bientôt dans un nuage tussif, laissant enfin le monarque en toute solitude.
Il ne lui restait qu'à éprouver l'énigmatique objet, le frotter lascivement du ventre, comparer la rotondité sienne à la planitude autre. Trouvant cela bon, il avisa soudain une turgescence de porcelaine qu'il entreprit de dénouer, pratique en laquelle il manquait cruellement d'expérience. Quand il y parvint, suant, jurant par tous ses saints ancêtres, il poussa et la porte s'entrouvrit. Hélas ! Le chambranle, d'un pas-de-deux gracieux, la referma ! Le roi s'en retrouva le nez collé au mur qu'il longea, jusqu'à toucher la porte avec son ventre, se saisir à nouveau de la poignée, la bignoler, ouïr le déclic du ressort agréablement huilé, pousser le rude panneau et, suite à un second gracieux pas-de-deux du chambranle, goûter du nez la décoration raffinée du mur !
Il renouvela ces opérations un nombre incalculable de fois, sans jamais pouvoir sortir de la maudite pièce, tandis que la horde des courtisans, faute d'en trouver la porte vagabonde, n'y purent rentrer.
Ainsi disparurent en Arles un roi, sa suite et sa dynastie.

 

Le texte de Plume:

Je n'aime pas cette image, je n'ai pas voulu la décrocher et voilà que mon poète de table me l'a mise entre les mains, les doigts et les yeux. Inévitable. Je m'oblige à y regarder de plus près, je crois reconnaitre Benabar de dos: une carrure sans mesure pour une taille modérée, une force vibrante calant la vie avec son poids illuminé de mots enragés. De mots d'espoir, de mots de peine. La relève assurée... je l'ai compris un soir quand je l'ai entendu grimper les marches de la chanson française, une à une à l'ombre du grand Salvador. Le passage au grand jour lui fut offert, la porte entrouverte; il l'a poussée en poète en la faisant claquer avec ses textes. Des nuages de paroles, des tracés d'images se détachèrent de nulle part, se mirent à voleter autour des poussières contractuellement éclairées par un technicien de la lumière. Ils se posèrent sur son piano composant des rimes délicieusement malignes. Benabar embrassa un avenir lumineux devant mes yeux incrédules et mes oreilles ébahies. Les rimes se redressèrent, pointèrent des présences indéfinissables, des espaces possibles.. et nous emmenèrent au-delà de nos imaginaires. Oui, la relève était assurée et força la porte fermée par Brassens et ses complices. Sentant monter la reconnaissance, le poète s'est détendu pour entrer et nous l'avons consacré en l'applaudissant longtemps, longtemps, au-delà du seuil de la bienséance.  

Publié dans Le Levain 2016-2017

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