Atelier d'écriture de février 2024: un bouquet de fleurs

Publié le par GFEN 33

Atelier d'écriture de février 2024: un bouquet de fleurs

Nous avons entendu des poésies, choisi une photo, cueillis des mots et tout ça sur un mode très fleuri. Aussi a t-il été plus aisé à chacun de raconter comment un inconnu était arrivé à sa porte avec ce bouquet, qui lui était destiné. Il y a eu des histoires d'amour et des histoires d'humour, des souvenirs tendres et des souvenirs moqueurs... et surtout de l'émotion partagée. En voici quelques pages ci dessous.

 

Toc-Toc 

Aujourd'hui je suis dans ma vieille bâtisse seule, pour m'occuper je lis un roman graphique lumineux :" L'enfance des cacahuètes ".
Je regarde par la fenêtre et c'est l'arrivée de la pluie. 
Dehors personne juste une silhouette au volant d'une voiture cabossée. C'est le boulanger du village qui apporte croissants et chocolatines aux petits enfants du pays qui sont en vacances et l'attendent les bras ouverts.  
Au loin j'aperçois l'immense éolienne et des avions sur son dos. 
Solitude de mon âge, personne à qui parler, juste à lire et imaginer. 
Imaginer l'enfance des cacahuètes dans cette campagne des mains rouges. 
Et si un papillon se prenait les ailes dans cette immense éolienne. 
Et si les couleuvres envahissaient ma vieille bâtisse pendant ma sieste. 
Et si la joie et la gaité disparaissaient?

TOC-TOC !
On frappe à ma porte. Je sursaute. Qui est là ?
Je regarde par l'œilleton. 
Que du jaune. Le soleil à ma porte ?
J'ouvre. Un bouquet de jonquilles m'est tendu par un géant. Je le prends : il sent bon.
L'homme a disparu. 
Mystère de la vie.
Des fleurs pour moi. Pas de vase .Je les ferai sécher. 

Je retrouve ma Joie des bottes de sept lieues. 

Fin

Léocadie 

Le bouquet du retour

Après une journée harassante et une migraine naissante, Cléïa ne rêvait qu’à une seule chose, se réfugier dans le canapé et si elle le pouvait, pourquoi pas s’assoupir. Elle voulait quand même lui envoyer un message et lui dire qu’elle pensait à lui mais elle n’osait pas. Elle l’avait eu deux jours auparavant au téléphone et il semblait préoccupé par son travail, là-bas.

Faut dire qu’ils étaient bien loin l’un de l’autre maintenant, lui dans le sud et elle toujours en Vendée. Pourtant, elle n’osait plus rêver, penser à lui comme autrefois, même si son cœur ne pouvait la trahir.

Alors que son esprit s’apaisait enfin et que le sommeil la gagnait, elle sursauta en réalisant qu’on sonnait à sa porte. Bien souvent, à cette heure là, il s’agissait de Juliette, la voisine du dessus, qui rentrant de sa balade quotidienne, s’arrêtait souvent à son étage pour papoter un bout ; elle avait le temps, cette gentille grand-mère connue dans tout le quartier et qui aimait rendre service à tous ses voisins.

Un peu engourdie et décoiffée, elle alla ouvrir la porte en pensant que Juliette allait encore lui demander des explications sur l’utilisation de son tout nouveau téléphone. Interloquée, ébahie, tremblante, elle le vit lui, souriant, un merveilleux bouquet de pivoines à la main, là tout juste en face d’elle. Elle mit plusieurs secondes avant de reprendre ses esprits et de lui offrir d’entrer.

Il avait fait comme autrefois : venir à elle avec ses fleurs préférées, dès qu’il la revoyait. Il connaissait sa passion pour les pivoines. C’était sa façon à lui de se souvenir de leurs tendres années et de leurs moments si joyeux, si complices où l’échange d’un seul regard leur suffisait pour se comprendre.

Après quelques explications sur son retour familial et le besoin de revoir son père, il lui révéla enfin la vérité. Lui aussi n’avait rien osé lui avouer pendant toutes ces années, mais il souffrait de leur séparation et de leur isolement mutuel. Il venait ainsi lui demander, si elle acceptait, de le suivre dans le sud pour reprendre leur histoire d’amour qu’ils avaient interrompu 7 ans plus tôt et pour enfin, ne plus jamais se quitter.
 

Fabienne

SOUVENIRS DU COEUR

La sonnette déchira de sa voix stridente à cet instant le silence empesé et morose de la salle à manger. Trois jours auparavant mon père s’était éteint à l’âge de quatre-vingt-cinq ans des suites des maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Cette réalité était dure à avaler. Après la mort de ma mère, il y a une dizaine d’années, maintenant celle de mon père.
J’avais la douloureuse impression qu’un chapitre du livre de ma vie se clôturait définitivement. J’étais assis, dans le canapé accaparé par mes pensées et mes souvenirs. Afin de ne pas sombrer dans la mélancolie et la tristesse, j’essayais de ressentir, de revivre les moments de joie, de bonheur à travers les tribulations de ma mémoire rouillée et poussiéreuse.
Mon esprit divagua, je m’imaginais un mécano et sa burette d’huile, un agent de nettoyage et son plumeau. L’un graissant et l’autre époussetant mes neurones dans l’espoir que mon cerveau se rappelle. Mais pas besoin, tout naturellement, mon cerveau s’alignait aux vibrations, aux pulsations de mon cœur et se reconnectait aux fils de ma mémoire.
L’ile de Ré, la maison de vacances où l’on profitait des étés magnifiques, les roses trémières, le phare des baleines, la pêche aux tourteaux, les marais salants… et tant d’autres souvenirs impérissables.
Décidé, je m’extirpais du canapé accompagné du crissement des rondeurs du cuir granuleux. Je n’avais qu’une idée en tête, me débarrasser au plus vite du contrevenant à mes moments passés de bonheur et me replonger dans cette souvenance heureuse.
J’ouvrais la porte. Madame Cuchas, une voisine de mon père se tenait là juste devant moi, un énorme bouquet de fleurs à la main.
- « Bonjour, j’ai appris que votre papa était mort et je vous apporte ces fleurs et sachez que, face à l’épreuve à laquelle vous devez faire face en ce moment, je vous transmets toute mon affection et mes plus sincères condoléances. Votre père était une belle personne ».
Malgré le moment inapproprié, je songeais en cet instant, pensée ridicule de ma part vues les circonstances, que c’était la première fois que l’on m’offrait des fleurs.
- « Merci pour lui, Madame Cuchas, je mettrais ces fleurs sur sa tombe ».
Je refermais la porte. Machinalement, je posais le bouquet de fleurs sur la commode de l’entrée. Je pris un stylo et une feuille de papier dans le tiroir et allais m’installer à la table de la salle à manger. Des larmes embuèrent mes yeux et je me mis à écrire ces mots :
« A mon père,
Tu es parti dans cette nuit du 8 Janvier après avoir subi les outrages de cette satanée maladie Alzheimer. Elle t’a éteint jour après jour, mois après mois, année après année jusqu’à effacer ces yeux rieurs, ce sourire qui te caractérisaient tant. Nous garderons toujours le souvenir que tu étais toujours prêt à rire à une bonne blague ou à un jeu de mot même parfois vaseux.
Bon vivant, aimant la bonne chère et par-dessus tout amateur et friand de gâteaux, de pâtisseries, je t’entends encore dire : « si on ne le mange pas maintenant ça va se perdre, donc autant finir ce qui reste ». 
Tu sais, papa, les chiens ne font pas des chats.
Maintenant que tu nous as quitté, repose en paix et va retrouver Maman, embrasses-la de notre part. 
Bonne continuation les amoureux, on vous aime ».

Bruno
 

Dans ma rue, Emma et Jules vivaient dans la maison de droite. Il semblait qu’ils s’aimaient depuis la nuit des temps. A gauche, un immense hangar aux murs jaunes mangeait le soleil et abritait les autobus qu’Alban conduisait. Au bout, à côte du restaurant aux rideaux de métal tirés, la forge de Toutou.
Toutou était forgeron mais aussi le cocher du corbillard qui était garé dans sa remise. Quand le glas sonnait à l’église du village, je savais que bientôt il sortirait le chariot habillé de velours sombre.
Le jardin de ma mère était une mer de tulipes, d’œillets d’inde et de myosotis mais ce n’était rien comparé à la splendeur des bouquets posés sur le corbillard de Toutou quand il amenait un villageois au cimetière.
Chez nous on n’aimait pas les fleurs artificielles, les décorations de plastique et les plaques de métal. Chez nous on partait au paradis, ou en enfer quelquefois, avec des parfums suaves et sucrés.
Je l’avais expliqué au petit Pierre, mon fiancé. Assis contre le tronc du gros platane de la place de l’église, nous effeuillions les pâquerettes pour savoir s’il m’aimait un peu, beaucoup… je ne préférais pas « à la folie » parce que je ne saurais pas quoi faire d’un fada.
Je lui avais expliqué que quand je serai grande je voudrais un homme qui m’offre des bouquets plus gros, des fleurs plus belles, aux parfums plus capiteux que ceux des morts de Toutou.
Il avait hoché la tête et continué d’arracher les pétales des pâquerettes. Je n’étais pas très sûre qu’il ait écouté. Il avait fini sur « passionnément » et s’était levé en criant : « le premier à la porte a gagné un baiser ! ». Puis il s’était mis à courir…
Il courait tout le temps. Sur le chemin de l’école, pour rentrer chez lui, pour aller à la messe, pour partir dans les champs, pour revenir du bois…Petit Pierre courait. Tant et si bien qu’il était toujours devant, toujours le premier, toujours plus loin.
Alors il avait fini par partir pour être le meilleur, ailleurs, loin du village.
Une dernière fois, il avait répété qu’il m’aimait sur le marchepied du bus qui l’emmenait. Mais quand Alban avait fermé la porte, je pleurais : je n’avais plus confiance aux pâquerettes pour me raconter que Petit Pierre et moi serions comme Emma et Jules.
Ce matin la cloche du portail a sonné, quelqu’un a toqué à la porte.
C’est un énorme bouquet. Plus gros que tous ceux que je n’ai jamais vus sur le corbillard de Toutou.
Et je crois bien que derrière, il y a Petit Pierre.

Syllabe
 

Publié dans Le Levain 2023-2024

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