Atelier d'écriture avril 2023 : Crayons emmêlés

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Le point de départ de cet atelier était une idée piochée chez Evelyne Plantier ("Animer un atelier d'écriture" paru chez Eyrolles) adossée à une folle envie de faire écrire des textes à plusieurs crayons. Et le point d'arrivée un savant mélange des deux.
 
Nous sommes sortis de notre propre imaginaire pour entrer dans celui d'un autre participant qui nous a resservi notre premier jet avec son point de vue. Dépossédés de ce qui allait devenir notre texte, nous l'avons récupéré avec une valeur ajoutée : jamais nous aurions écrit ce que notre voisin a écrit pour nous... Nous nous sommes ainsi enrichis.
 
Surprises plus qu'agréables. En voici quelques-unes :
 

J’ai rendez-vous à 4 heures avec l’agent immobilier et nous sommes tous les deux en avance. Devant l’immeuble, il m’attend debout, à côté de son scooter. Il me serre la main de façon un peu trop appuyée à mon goût et m’invite à le suivre pour visiter le T2 meublé que j’avais repéré le matin même, parmi les nouvelles annonces.

Un mur pâle sans éclats qui n’attend qu’un rafraîchissement depuis tant d’années ouvre le bal ! On ne voit que çà, comme si le couloir n’existait pas. Ma fière jeunesse jure avec cette entrée maussade qui serait ma carte de visite pour les mois à venir... Ça dépendra du reste en fait, je pourrais toujours donner un coup de peinture.

Une chambre isolée au fond du couloir mais bien éclairée compense partiellement ma mauvaise première impression. Elle a une grande fenêtre sans vis à vis et des meubles IKEA bien mieux adaptés à ma façon d’être que la rigidité surannée de l’entrée. L’agent immobilier me montre la cuisine où une pendule, qui en a vu défiler des années mais que plus personne ne regarde, s’est arrêtée de vivre. La pièce est petite et peu fonctionnelle.

Quand l’agent immobilier passe devant moi, je dois rentrer mes fesses et mes seins pour éviter qu’on ne se frôle inopinément. Mais peine perdue, les beignets de carnaval et autres oreillettes ont dû tapisser mon corps d’une épaisseur supplémentaire cette année et nos corps se rencontrent.

C’est alors que je découvre un châle oublié sur la chaise, pouvant encore réchauffer une âme en peine.

Nous le voyons tous les deux en même temps, je me sens alors rougir. Je ne voudrai pas qu’il se fasse des idées, je n’ai pas le cœur à rire ! Cet appartement me plaît, il est dans mon quartier idéal, à deux pas de l’Université. Je lui demande à combien s’élève le loyer et là, il se retourne en me fixant avec ses petits yeux coquins et me dis : « Allez Mademoiselle, un petit café et on peut s’arranger » !

Mais quel toupet ce gars, il s’y croit encore avec sa bedaine naissante et sa tignasse déjà bien grisonnante à son âge !

Au revoir Monsieur, lui dis-je, je ne cherche pas un homme mais un logement ! Je file du reste de ce pas à votre agence, signaler votre comportement et tenter d’avoir un autre appartement !!

Fabienne, avec les remerciements à Helmi

Elle releva ses lunettes, ouvrit la portière de sa voiture et observa un spectacle de désolation : un flot de voitures mal alignées sur ce reste de bitume troué. Le vent s'y engouffrait, chaleur des moteurs oubliée.
Le rendez-vous était donné mais personne n était encore là, elle était nerveuse, s'alluma une clope et  s'engouffra dans la rangée d 'immeubles à étages vitrés de froid. 
Reflet d'un lampadaire à l'ampoule orange. En haut une antenne vieillie penchait du côté droit.
Sous le lampadaire elle vit son contact, imperméable côtelé, cigare à la bouche et attaché-case .En face de lui un enfant assis sur un reste d 'acacia au tronc sec. Là, un gazon bien vert entouré de caillasse et ce petit vélo mal garé. 
Ce n'était pas vraiment le lieu pour pareil deal... mais bon, il fallait être discret et ce n'était pas au ministère que cette affaire serait réglée.  Elle fit signe à son contact de se diriger vers un bâtiment rectangulaire de plain pied, avec des bancs vides sous les magnolias. 
A peine furent-ils assis, elle le regarda, sortit de son sac à main un parabellum et le pointa sur le ventre de son contact, elle avait pris soin d'y mettre un silencieux.
Elle repartit ensuite dans sa caisse, sur des routes avec leurs nids de poule et leurs trottoirs réchauffés.
Avec son expérience des âmes sombres et cruelles, elle savait qu'il valait mieux les exécuter. Mieux vaut tuer un monstre que de lui laisser la chance d'un procès. Et elle n 'avait pas oublié de mettre son gilet pare-balles. 
Elle croyait encore en la vie...
 
Léocadie avec les remerciements à Jef
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Rêver c’est ce qu’il y a de plus beau.

Des silhouettes noires cagoulées s’étaient détachées de la foule compacte et avaient projeté sur la chaussée des poubelles dans lesquelles des journaux enflammés avaient été jeté.
Les flammes rougeoyantes crachaient leurs fumées noires envahissant un ciel éteint.
La foule rugissante marqua un temps d’arrêt. Certains reculèrent ou glissèrent sur le côté. Mais les autres, tous les autres, continuèrent d’avancer vers le cordon des CRS dressé en travers de la rue.
Des pavés tombaient comme à Gravelotte sur les têtes casquées.
Elles se replièrent derrière les camions placés quelques mètres plus loin prêts à décharger des tonnes d’eau de leur engins diaboliques et malfaisants.
La rue n’était plus praticable et les barricades s’amoncelaient sur sa crète.
Les camions étaient inutiles, immobiles et l’eau ne touchait pas les manifestants qui ne sortaient de derrière les barricades que pour jeter de nouveaux pavés et autres objets non identifiés. C’est alors que les forces de l’ordre serviles sortirent leurs armes responsables de bavures et violences policières non reconnues et ignorées, mais validées par les autorités.
Pourtant je souhaiterais tant dans mon délire, mon rêve le plus fou, que les policiers et les manifestants chantent bras dessus, bras dessous « Paix, Amour, Liberté, Fleur », tels des allumés de Krishna. Même si ils sont allumés, ils éteignent toute haine et rancœur et la violence pourrait disparaitre pour toujours.
 
Bruno avec les remerciements à Sylvie

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Petite musique de nuit
 
C’est le soir, la journée de vendanges a été longue et éprouvante sous le soleil. Vient enfin le temps du repos pour les deux jeunes étudiants, après avoir piqué une tête dans le cours d’eau jouxtant la parcelle.
Une table de camping posée sous l’auvent, penchant dangereusement sur un côté, la bouteille de vin à moitié vide indiquant de façon incontestable que la surface n’est pas à niveau. Ils sont tellement épuisés par cette première journée qu’ils ne s’en rendent même pas compte. Le cerveau en pilote automatique, ils ne pensent qu’à vider l’autre moitié de la bouteille avant de plonger dans le sommeil.
Sous la table un carton d’emballage vide, à demi compressé, une boite de MacDo qu’ils sont allés chercher tout à l’heure en guise de diner, d’un coup de mobylette. Pour deux c’était un peu juste, mais le vin comblera ce qui n’a pas été rassasié.
Un peu plus loin traine une chaussure d’enfant, taille 30 ou 31 à vue de nez, rouge et bleu avec des traits noirs. Le lacet est cassé et a refusé de s’enfiler au-delà de l’avant-dernier trou. Elle est bien poussiéreuse, cette chaussure, à se demander depuis quand elle est là.  Une pensée hasardeuse émet l’hypothèse qu’elle a peut-être appartenu, dans un autre temps, au jeune chef d’équipe, chaussant aujourd’hui facilement du 48.
L’herbe commence à être légèrement humide maintenant que le soleil est couché. Elle est visiblement en survie à certains endroits, le passage fréquent a eu raison de ce tapis doux et naturel.
-Tu sais ce que c’est qu’un chemin de désir ? fait le jeune étudiant à sa compagne saisonnière. Elle rougit sans répondre, s’attendant à une blague grasse en-dessous de la ceinture. En donnant un coup de pied dans la chaussure, elle l’envoie sous la table.
-Eh bien, c’est un chemin qui s’est tracé comme celui-là, à force d’être emprunté spontanément par tout le monde. Un chemin qui se trace tout seul parce que tout le monde le désire…
Elle est soulagée, le registre est resté neutre et elle n’aura pas besoin de faire face à des sous-entendus inconfortables. Elle se lève.
Sur l’étendage flotte une serviette bariolée, balançant ses pans au rythme de l’air du soir. A côté dansent deux maillots de bains, essayant de s’attraper lors d’un mouvement retour. Pour ensuite se retrouver séparés dans le mouvement suivant.
-Les serviettes et les maillots ne sont pas encore secs, mais on pourrait quand même prendre un bain de minuit tout à l’heure avec cette chaleur. Ça te dit ?
-Oui, mais après un petit somme, je suis KO là, lessivé. Et puis le vin, il est costaud, il monte vite à la tête je trouve.
 
Elle se rassoit et laisse promener son ses yeux mi-clos sur le chemin. Au loin résonne une musique de fête. Un fond d’accordéon qui faiblit ou s’intensifie au gré du vent. Ça doit venir du village, mais ils ignorent ce que c’est comme fête. Un anniversaire ? Un mariage ? Une soirée organisée par le comité des fêtes ? Avec la fatigue qu’ils ont dans les bras et les jambes, et maintenant dans la tête aussi, l’envie d’aller danser s’est vite dissipée. Installés sous cet auvent dans deux vieux fauteuils en osier, ils se contentent de se laisser bercer par les lambeaux de musique et par la douceur du soir, jusqu’à ce qu’ils s’assoupissent.
La lumière se fait de plus en plus rare, la nuit arrive pour de bon.
Damien s’est endormi le premier, son verre à la main. Il ronfle légèrement et son buste monte et descend avec un rythme lent et régulier. Babette a la tête penchée en avant, le menton quasiment sur le sternum. Sa bouche fait de petits « Ppff » pointus avec la même cadence que le mouvement respiratoire de Damien, les inspirations et expirations se font de concert comme si elles s’étaient synchronisées dans le sommeil. La musique de la fête au village s’est amplifiée maintenant et ajoute une basse agréable et soutenue à ce tableau endormi mais vivant.
Sur le chemin arrive une ombre, avec des pas précautionneux pour ne pas perturber l’harmonie installée. Plus elle s’approche, plus les contours deviennent nets. Sans pour autant dévoiler ce qui ne se voit pas dans le noir. L’ombre mesure dans les un mètre vingt à vue de nez, s’arrête devant la table de guingois, se penche en avant et ramasse d’un coup sec la chaussure par terre, dévoilant un bras fin et agile. Elle rebrousse chemin, laissant les deux saisonniers à leur repos de guerriers et disparait peu à peu dans la nuit qui avance.
Au village le clocher entame, sans l’ombre d’une hésitation, ses douze coups de minuit.

 

Plume avec les remerciements à Christian

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Autrefois sur la colline Pierre et Adeline vivaient heureux dans cette maison de ferme. Aujourd'hui, une légère odeur de moisi semble suinter des pierres de taille. Pourtant, c'est dans cette pièce qu'ils aimaient à danser la valse au son de leur radio, entourés, au dehors, de violettes plantées dans le potager.
Or, maintenant, la porte, la lourde porte de bois est close et le silence est absolu. Dehors n'existe pas. Après trois générations, les temps ont changé. Des lotissements de maisons modernes s'y sont installés, mais à l'intérieur de cette vieille demeure, sur l'autel, un napperon en dentelle sur lequel est posé un petit vase plein de jonquilles.
Que s'est-il passé ?
La vie revient. Et en ce soir de printemps sur la colline la salle est plongée dans un clair-obscur troué par quelques bougies posées çà et là.
Mais bientôt, voilà octobre. Seul un petit feu de bois essaye de réchauffer la pièce. La nuit tombe. Il fait de plus en plus froid. Dans un coin de mur une araignée tisse sa toile.
Alors, le soir, il prend sa guitare et aime à chanter cette vieille chanson de Nino Ferrer "… La maison, près des HML… Les arbres ont disparu mais ça sent l'hydrogène sulfuré… C'est pas si mal… et c'est normal… C'est le progrès…"
 
Christian avec les remerciements à Léocadie
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Les murs épais maintiennent une fraîcheur qui semble glaciale quand on vient de l’extérieur. C’est un choc thermique en ce mois de juillet de canicule mais ça fait tellement de bien. Le sol aux carreaux alternativement blancs et rouges est une marelle rafraîchissante sous les pieds nus. Les enfants de mon frère n’ont pas mis longtemps à s’en rendre compte et à se lancer dans des cloche-pied éperdus.
Des volets clos tombent des raies de soleil dans lesquels tourbillonnent et virevoltent, au gré des mouvements des enfants, des étoiles de poussière. Sur la chaux des murs blancs, des mouches dansent un ballet bourdonnant qui fascinent les gamins. Mais il suffit d’un appel pour que tous abandonnent leurs jeux.
« C’est l’heure de goûter les enfants, il est 4 heures ! »
Sur la table une bouteille à étoiles couverte de buée est posée à côté de verres retournés à l’envers sur la toile cirée. Les portes du buffet s’ouvrent et laissent échapper des odeurs de pain, de confiture de fraise et de fromage à croûte rouge.
Les enfants sont hissés sur les chaises en paille et attendent sagement que la mémé dépose sur la table de quoi les nourrir. Elle tranche d’un large coup de couteau de belles tartines dans la miche appuyée sur son giron. Quand elle en a déposé une devant chaque enfant, elle attend. L’un lui montre le pot de confiture, l’autre le fromage et elle en distribue généreusement une part à chacun. Quand arrive le tour du petit dernier, celui-ci zozote d’un ton décidé : « ze veux pas du fromage ou de la confiture, moi ze veux du beurre et du chocolat en poudre partout dessus ! » Alors la mémé sourit et, après un regard de connivence aux grands, s’exécute.
Parce que, le petit, il faut qu’il ait envie de revenir souvent en vacances lui aussi.
 
Syllabe avec les remerciements à Bruno

Publié dans Le Levain 2022-2023

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