Atelier d'écriture mai 2023: En mai fais ce qu'il te plait

Publié le par GFEN 33

Entre les contestations de mai 68 et celles de 2023 où "Tu nous mets 64? On te mai 68!" (slogan populaire dans les manifestations contre la nouvelle loi retraite), le moment était parfait pour se lancer dans un atelier militant.

En guise d'entrée, il y avait quelques références politiques bien sûr. Mais le militantisme poétique s'est également invité avec la lecture de textes de Guillaume Apollinaire, Jacques Prévert et même Victor Hugo et Claude Nougaro. Pot-pourri pour un joli mois de mai.

Voici quelques textes écrits lors de cette soirée de mai 2023... Et allez bien jusqu'au bout. Le dernier texte sort du cadre habituel, une vraie éclosion de printemps!

Ces deux dames des montagnes  n'ont pas vu les barricades au loin . Elles sont tout à leur promenade près des vergers en fleurs et évoquent leurs souvenirs d'amour. Au loin en bas de la côte une guinguette d'où s'échappe comme une odeur de pavé de saumon grillé les rappelle à leur présent. Elles ne sont plus toutes jeunes et cette ballade leur a creusé l'appétit. 
Le bulletin météo du matin ne s'est pas trompé. L'anticyclone se maintient en cette fin de journée et leurs gorges sèches les incitent instinctivement à descendre pour se restaurer. 
Elles passent à travers les vignes et cette longue marche à brûler le pavé de dame nature est comme le sacre du printemps de Stravinsky:  une musique classique et un passé périmé. Oh! Combien de fois ont-elles fait cette ballade. 
Oh! Combien de fois ont-elles eu cette discussion !
Ça y est, maintenant elles s'approchent du hameau. Mais tout à coup un enfant de 12 ans les percute et lance un pavé dans la mare à côté d'elles . Et c'est à ce moment là qu'elles réalisent qu'ici en bas des montagnes c'est la pagaille. Des gens courent dans tous les sens, certains blessés avec du sang sur eux font comme ils peuvent pour se protéger. Ah ! La réalité ce n'est pas comme lire un pavé au coin du feu . Une foule compacte est là à crier : " Jeunesse bâillonnée, Ours en danger ! ". En face d'elle une horde de chasseurs tire en l'air mais certains, éméchés, n'hésitent pas à viser les jambes de ces hooligans de la faune. Face aux fusils ils n'ont que des chiens mal dressés qui s'enfuient dans les roseaux. Ici c'est une zone blanche, donc comme personne n'est au courant de ce combat, là bas à la grande ville, il n'y a pas de pavé numérique pouvant abreuver les réseaux sociaux, chaînes de TV et autres moyens de communication moderne. 
Personne ne sera au courant, sauf ces deux dames désuètes. 
 
Léocadie 

Ce n’est qu’une foule sentimentale
Du muguet et des fleurs en étendard,
Des parents et des enfants pâles,
Des jeunes gens et des vieillards,
Entonnant un hymne à la fraternité,
Exigeant la liberté de la lucidité.
Les mensonges des gouvernants
Qui racontent que sous les pavés,
La plage et un vent de printemps
Pourraient bien se dissimuler,
Ne passent plus dans les gosiers desséchés.
Un sombre bitume se déroule sous les pas
Des assoiffés en une colère cadencée.
Les pavés publicitaires ne sont que des faux-pas
Pour vendre du rêve et cloîtrer les idées.
La foule sentimentale déverrouille l’espoir,
Jette les promesses à perpétuité
Et porte sa lumière vers la muraille noire
Mais les portes ouvertes se closent
Refusant l’allégresse des pavés de texte.
Qu’ils soient poésie ou prose
Les murs de l’ordre trouvent prétexte 
Pour souiller d’un sang éperdu
Les pavés du nord et tous ceux de la rose des vents
Alors la foule sentimentale, toute d’espérance tendue,
Ne peut que poursuivre en avant,
Du muguet et des fleurs en étendard,
Aux lèvres le chant du trop-tard,
Pour briser, main sur le cœur,
Les pavés de verre des rues de leur peur.

Syllabe

Un futur pavé d’espoir

Timmy est à la mine. Il creuse, il creuse. Il n’a pas l’âge de travailler. Il a à peine huit ans. Son père aussi creuse. Il faut bien gagner son pain quotidien. Être mineur et qui plus est à son âge dans un pays sous-développé comme le Congo n’est pas une sinécure. Grand-père, père, frère, fils c’est un atavisme bien cruel. Tout le monde creuse en définitive, ils sont les fossoyeurs de leurs propres vies. Timmy n’avait pas le choix, son père lui disait tout le temps que ses ancêtres, sa famille avaient toujours creusé. Lui qui aurait tant aimé aller à l’école et apprendre à lire. Les silhouettes, les corps des lettres dès la première fois où il en avait vus l’avaient ébloui. Dans son désir le plus fou, il aurait aimé que la mine soit pavée de textes composés de lettres dorées lumineuses qui lui feraient  scintiller les yeux de bonheur. Il rêvait souvent qu’il savait lire et qu’il pourrait engloutir des pavés de livres interminables jusqu’à mourir de lire. Mais à chaque fois au sortir de son rêve dès qu’il se réveillait, la réalité le rattrapait cruellement : il était un enfant-mineur. Sa tante Kesha, qui l’adorait, venait au pays chaque année pendant ses vacances. Elle vivait et travaillait en France, plus exactement à Roubaix, ville connue pour ses pavés du Nord. Elle était l’unique fille de la famille et dans un besoin de liberté et d’émancipation ressenti très tôt, elle était la seule de la fratrie à avoir émigré en France. A son arrivée elle avait crée son entreprise. Une entreprise de création de sacs à main qui dès le début avait eu du succès et qu’elle avait appelée « sous les pavés » en hommage à la région qui l’avait si bien accueillie et intégrée. Elle adorait son neveu Timmy, elle avait dans l’idée de le faire venir en France afin de l’extraire de la mine et lui donner un avenir, un futur où il pourrait tenir le haut du pavé, la tête haute et ne plus courber l’échine dans les galeries et les méandres de cette satanée mine.

Bruno

Pavés

Je suis né en mai 68, quasiment sur les barricades. Ma mère, jeune étudiante pour faire cliché, désolé, était enceinte de 8 mois et demi, son médecin lui avait bien interdit de participer à des évènements susceptibles de générer du stress, voire des accouchements prématurés… Mon côté indépendant et têtu vient donc de ma mère et ceci explique cela. Pour être plus précis, je devrais dire que je suis né sous les barricades, car ma mère, tête peut-être mais perspicace tout de même, a senti le coup venir, m’a senti venir pour ainsi dire et elle a laissé sa place en haut pour un lieu plus calme, en tout cas moins exposé aux fumigènes et autres objets volants si caractéristiques des manifestations. Trois contractions, deux encouragements de ses camarades compatissants et elle m’a jeté sur le pavé.

Bien sûr, je n’ai aucun souvenir de cette venue au monde si révolutionnaire, je dois me contenter des bribes et histoires glanées lors des soirées copieusement arrosées et généreusement enfumées entre soixante-huitards. Mes yeux dépassaient tout juste le plateau de la table ; et à condition de me mettre sur la pointe des pieds, j’observais le champ de bataille des verres vides, les pavés de tabac brun et d’herbe verte en écoutant ma mère et ses amis débiter leurs exploits à dormir debout.

Aujourd’hui j’ai 55 ans et je suis devant un autre pavé. Un pavé publicitaire, rien à voir avec ceux de ma naissance. Sur celui-ci on vante le bonheur printanier des croisières fluviales en pays rhénan. Entre vignes et méandres on me promet que c’est exactement là que je trouverai l’âme sœur. Car c’est un voyage destiné aux célibataires endurcis, peut-être même désespérés. L’occasion unique de joindre l’utile à l’agréable en buvant du Gewürtztraminer rafraichi en guise de brise-glace.

Le pavé est arrivé ce matin même dans ma boite aux lettres par je ne sais quelle main clairvoyante, car, effectivement, mon célibat de quinquagénaire a commencé à me peser il y a quelques semaines maintenant. Les soirées sont devenues plus difficiles à remplir socialement, de moins en moins de réponses favorables à mes invitations de venir manger un pavé de saumon à la parisienne, une de mes spécialités culinaires plutôt appréciées de mes amis et même recherchées jusqu’ici. Mais ceux qui autrefois étaient si enclins à venir déguster mes pavés me font de plus en plus faux bond et mon congélateur déborde de ces morceaux de poisson importés des mers froides. Je ne suis pas sûr que, dans les activités proposées entre voyageurs roucoulants lors de cette croisière sur le Rhin, on ait l’occasion d’une partie de pêche au saumon. Ils remontent bien les cours d’eau en frayant pour se reproduire, mais j’ignore s’ils remontent le Rhin. De toute façon peu importe, j’ai assez de saumon pour un régiment et je ne compte pas partir en croisière.

Perdu dans mes pensées faisant du lien entre différents éléments de ma vie, plus ou moins éloignés les uns des autres, mes doigts tapotent nerveusement sur le pavé numérique de mon ordinateur. Un signe d’impatience intérieure. Depuis tout jeune, je perds le contrôle de mes doigts, ma mère me l’a dit à maintes reprises et le psychiatre, enfin consulté, pense que cela remonte aux circonstances chaotiques de ma naissance. Un traumatisme postrévolutionnaire donc. Savoir cela ne m’aide pas vraiment. Mon impatience surgit de nulle part à n’importe quel moment et mes doigts se mettent en autonomie totale. Comme les mains d’un pianiste connaissant son morceau de musique par cœur. Les doigts courent tout seuls sur les touches, détachés du cerveau de leur propriétaire et font naitre de grandes émotions.

Né en mai 68, j’ai en ce jour de mai 2023 55 ans et me retrouve quasiment barricadé dans ma solitude. Une tristesse m’envahit, je ne sais pas que faire. Je tourne en rond depuis quelque temps. Regardant mes doigts, je décide de faire fi des copains et me prépare deux pavés de saumon pour moi tout seul. Certainement un pavé de trop. Mais tant pis s’il doit me rester sur l’estomac, il rejoindra les autres, ceux que je me trimballe depuis mai 68.

Plume

Les pavés

Chanson de Jean-François DAMOUR

A écouter en recopiant le lien :

drive.google.com/file/d/16AX9wsz8YWv7jbj-Zuz6ZvLnUlhUZZcZ/view?usp=share_link

 

Elle se cachait au mois de Mai
Toute nue sur son canapé
Clope et télé allumées
Ventilateur au plafond
Maelstrom et ouragan
Dans son corps extravagant
Sur son carnet elle griffonnait
des montagnes d'insanités
pavées par sa réalité
Dehors les oiseaux
tapaient le carreau
La vie rapait ses oripeaux

Elle se cachait au mois de mai
de sa tristesse ruisselaient
des surprises insoupçonnées
que son sexe écoutait
enchaînée
A cette télé
Elle se cachait au mois de Mai
cachait de sa réalité
seul son spleen agitait
Matière grise qui s’effrite
Dans un billet qui aiguise
des courbatures qui l'effritent
Sur son calepin au fusain
Des dessins de courbes de seins
Des brasiers de vingt écrivains
Des livres pour survivre
et puis se rendre ivre
De Bastogne à la porte de Pise
Elle se cachait au mois de mai
de sa tristesse ruisselaient
des surprises insoupçonnées
que son sexe écoutait
enchaînéé
A cette télé
Elle se cachait au mois de Mai
comme un héros de Rabelais

Croquer le vide baiser le blé
le blé de ces couillons
Qui comme Lago souvent
t'as dérobé ton temps
Sur son livret elle salivait
Sur des extraits de Sévigné
Sa beauté est décapitée
Comme souvent en France
Mes amis je pense
de Chicag' à Recouvrance
Elle se cachait au mois de mai
de sa tristesse ruisselaient
des surprises insoupçonnées
que son sexe écoutait
enchaînée
A cette télé

 

Publié dans Le Levain 2022-2023

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