Atelier d'écriture juin 2023 : Paysages

Publié le par GFEN 33

Dernier atelier de la saison, inspiré des aquarelles de Marie Nicolas, artiste peintre et art-thérapeute. Une série de ses paysages a servi de point de départ, complétés du poème Clair de lune de Paul Verlaine et de Paysage d'Auguste Lacaussade. Quelques échanges, entre participants, de prise de notes et d'aquarelles choisies afin de mélanger nos univers pour mieux les ouvrir sur le possible... et le tour était joué. On avait de quoi écrire.

Lors de la discussion avec l'artiste en fin d'atelier, nous avons découvert que l'écriture de certains textes se rapprochait parfois beaucoup du processus de création à l'origine de ces aquarelles. Le cheminement avait été similaire. Cheminer avec le stylo ou avec le pinceau participe de la même source et faire coïncider, ce soir-là, ces deux processus fut très intéressant.

Voici quelques textes écrits lors de cet atelier.

Début d’été
 
Les couleurs dansent dans le vent et se balancent. Au loin, des voix d’enfants interrompent ma douce rêverie.
La nature a rempli sa promesse. Les rayons du soleil transpercent les nuages et réchauffent mon âme.
Et pourtant j’hésite, cette torpeur m’assoupit et de la mélancolie à la tristesse risque de franchir le pas.
Les oiseaux insistent et m’invitent au voyage. Ils sautent à la corde dans les airs.
Les fleurs embaument mon espace.
Les coquelicots renversent leurs robes rouges légères et m’emportent avec eux.
Bientôt je suis enivrée dans ce jardin. Les herbes folles réclament leur part et frémissent de bonheur.
Et pourtant, l’orage gronde au loin. Je n’entends que lui. Il couvre tout, même les oiseaux.
Les enfants ont cessé leurs jeux, rappelés par leurs parents.
Se pourrait-il alors qu’il pleuve sur l’or ?
Vite, mes lunettes de soleil !
 
Marie
CONSTELLATION DE STARS
 
Un vent de vie accompagné d’une sérénité à toute épreuve enivrait cette belle nuit silencieuse et apaisante.
Des bosquets d’étoiles fantasques enchantaient un ciel bienheureux.
Des ilots immobiles, noirs, teintés de bleu mettaient en valeur ces innombrables stars habillées de strass qui donnaient leurs représentations chaque jour après avoir épousseté en cachette les nuages subversifs toujours en quête de vilénies climatiques.
La lune, tel un metteur en scène zélé, dirigeait et éclairait ses actrices oscarisées à chaque spectacle cosmique.
Le plancher des vaches, béat devant tant de beauté, applaudissait jusqu’à rompre son écorce terrestre.

Bruno

Un été 
 
Sous le soleil d'août l'on entend au loin des crépitements. L'astre à son zénith nous laisse à penser qu'il se passe quelque chose d'inhabituel. Les arbres de la sérénité paraissent tout à coup dégager une lueur rougeoyante. Le ciel bleu pâle a laissé place à un tourment. Il est devenu écarlate. Ce que l'on pensait au loin être des nuages ne sont en fait que de la fumée de pins brûlés. 
Plus on se rapproche, plus le vent qui se lève attise les flammes. 
La pinède a pris feu. Les oiseaux s'échappent. Je préférerais mille fois mon ciel à l'azur profond derrière ces collines verdoyantes et apaisées. Avec l'effet de fraîcheur de la forêt et son ombre rafraîchissante. Mais cette année c'est le rouge feu qui l'emporte avec ses flammes dansantes et l'esprit du diable. 
À quand la paix des cieux et l 'Amour vainqueur?
 
Peut être dans la douceur surprise d'un calme clair de lune...
 
Léocadie 

Le lac

Le lac, ce matin, est affamé après une longue nuit sans lune. Affamé de lumière probablement. Sur le ponton deux silhouettes de pêcheurs sont immobiles devant leurs cannes pointées vers la surface huileuse de l’eau. Pas un brin de vent sur le lac, l’eau est limpide. De dos, je les reconnais aisément, ces deux loustics. C’est le marchand de sapins, avec son exploitation forestière étendue jusqu’au village voisin, et son comparse le marchand de sable, appelé comme ça parce qu’il exploite la carrière de pierre et de gravier derrière la forêt de sapins. Ils viennent pêcher là tous les dimanche matin quand leur emploi du temps le permet.

L’eau du lac est orange à cette heure-ci, elle reflète le réveil de l’astre matinal. Tout baigne dans cette lumière calme, on se croirait dans un tableau. Ou plutôt dans une aquarelle avec toute cette eau pour diluer les couleurs.

Je me trouve à une cinquantaine de mètres derrière les deux marchands, entourée de sapins encore endormis. Leurs cimes déploient une coupole sereine au-dessus de ma tête. L’humidité nocturne est encore bien présente et je frissonne de temps en temps. Je ressens pourtant la promesse d’une journée estivale où le soleil scintillera sur toute cette rosée matinale jusqu’à tiédir l’herbe et assoupir le vent.

Assise sur une branche de sapin, je me balance doucement d’avant en arrière, je ferme les yeux et laisse les effluves du matin envoûter mon cœur. J’aime ce moment de la journée, ce laps de temps entre nuit et jour, Ce n’est pas encore vraiment le matin, il manque encore quelque chose. Mais ce n’est plus la nuit. Un moment de paix profonde avant l’arrivée des estivants dans quelques heures. L’eau tourbillonnera de baigneurs, l’air sera saturé de relents de crème solaire et des cris d’enfants résonneront au-dessus du lac.

Soudain, un bruit sourd me fait rouvrir les yeux, un mélange de clapotis d’eau et de coups de bois. J’aperçois un bateau blanc, flambant neuf, un de ces bateaux de location pour des promenades sur le lac et sur la rivière en amont. Mais le service de location n’ouvre qu’à dix heures du matin. A cette heure-ci les bateaux sont normalement à quai. Je vois le bateau s’approcher de la douce bulle des pêcheurs avec, à son bord, une bande de jeunes, bien hilares. Des étudiants probablement, vestiges de la fête qui s’est tenue hier soir à l’occasion de la remise de diplômes au centre nautique. La salle avait été louée par l’école d’ingénieurs, une information que je tenais de mon cousin, étudiant en troisième année de cette école. Ils sont nombreux, à ce que je vois, un verre de bière à la main, un canotier de guingois sur la tête et des chuchotements ivres alternés de fous rires étouffés. Ça sent la fin d’une nuit de fête bien arrosée…

Arrivés à une vingtaine de mètres du ponton, ils ne tiennent plus et les rires éclatent bruyamment. Un vacarme intrusif dans ce calme élégant, un boucan irrespectueux vis-à-vis de ces deux pêcheurs placides. Je tends la nuque pour mieux voir. Ils sont une bonne quinzaine et se bousculent pour être tous du même côté, celui qui fait face au ponton. Ils se chamaillent, ils se poussent et le bateau tangue sans retenue sur la danse folle de ces gigolos d’une nuit. Le poids étant mal réparti maintenant qu’ils sont tous du même côté, le bateau commence à pencher de plus en plus dangereusement. Je crains que l’un d’eux passe par-dessus bord, tellement la situation est devenue critique. D’autant plus que l’eau est encore très froide en cette saison et leurs esprits manifestement très échauffés. Un dernier balancement suivi de nombreux cris inquiets et le bateau chavire. Les étudiants sont avalés en moins de deux par le lac affamé. Incrédule, je suis comme figée sur ma branche de sapin. Immobile, tout comme les deux pêcheurs. Quand l’eau est redevenue calme, le silence revient et aucun bruit ne vient le perturber. Sur le lac flotte le bateau blanc comme un orphelin, seul témoin de l’incident qui vient de se produire.

Quelques secondes plus tard, j’entends un bruit de sirènes descendant du chemin. Ou peut-être remontant des profondeurs… Je n’arrive pas bien à le localiser.

Plume

Je suis attachée à ma terre comme un épouvantail enraciné dans son champ.
La violence de l’arrachement me reste chevillée au corps où que le vent m’emporte. 
Ailleurs je suis comme les oiseaux désorientés  qui espèrent un vent multicolore pour souffler sur leurs plumes et leur montrer le chemin.
Quelles que soient les riantes couleurs que m’offrent les paysages, aussi suaves soient les parfums des voyages, aussi doux soient les murmures de la vie, l’ombre des souvenirs des lumières dansantes de ma forêt centenaire, des effluves odorantes de mes marécages chauffés à blanc, des murmures cristallins de ma rivière de sérénité, m’envahit et éteint les possibles.
Ailleurs je n’existe pas vraiment, je perds une part de mon essence, je suis une plante assoiffée aux feuilles jaunies.
J’ai besoin de ma terre pour me nourrir, de sa clarté pour me guider, de son souffle pour me porter.
Je suis de là et pas d’ailleurs.
Je ne sais pas partir, je ne peux que revenir.
Et rester, comme l’épouvantail au milieu du champ, pied dans la terre, bras en croix et sourire béat.

Syllabe
 

La forêt
 
Le matin en été, j’aime me lever aux aurores, quand tout le monde dort encore.
Les flammes solaires dorées me font la promesse d’un jour particulier.
Promesses sereines que le paysage s’illuminera tout au long de la journée, que les collines perdront leurs brumes et que bois et plaines s’animeront du chant mélodieux des oiseaux.
J’en ai tant rêvé de cette sérénité !
Enfin, j’y suis, je ne veux plus en partir.
La forêt est mon refuge, j’aime sa clarté et ses effluves de mousse encore caressée par la rosée.
Un chêne radieux se déploie devant moi et semble danser dans les cieux en traçant un sillon d’or. Plus loin, au dessus du chemin, des châtaigniers se rejoignent et forment une coupole radieuse. Les abeilles dansent au-dessus des fougères argentées et s’en vont butiner plus loin. Les fruits sauvages m’offrent l’espoir d’un été prometteur.
C’est sûr, mon âme est rassurée, j’ai trouvé l’endroit tant recherché et c’est décidé, c’est bien ici que je finirai mes vieux jours !
 
Fabienne

Publié dans Le Levain 2022-2023

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