Atelier d'écriture juin 2023 : Paysages
Dernier atelier de la saison, inspiré des aquarelles de Marie Nicolas, artiste peintre et art-thérapeute. Une série de ses paysages a servi de point de départ, complétés du poème Clair de lune de Paul Verlaine et de Paysage d'Auguste Lacaussade. Quelques échanges, entre participants, de prise de notes et d'aquarelles choisies afin de mélanger nos univers pour mieux les ouvrir sur le possible... et le tour était joué. On avait de quoi écrire.
Lors de la discussion avec l'artiste en fin d'atelier, nous avons découvert que l'écriture de certains textes se rapprochait parfois beaucoup du processus de création à l'origine de ces aquarelles. Le cheminement avait été similaire. Cheminer avec le stylo ou avec le pinceau participe de la même source et faire coïncider, ce soir-là, ces deux processus fut très intéressant.
Voici quelques textes écrits lors de cet atelier.
Bientôt je suis enivrée dans ce jardin. Les herbes folles réclament leur part et frémissent de bonheur.
Les enfants ont cessé leurs jeux, rappelés par leurs parents.
Bruno
Le lac
Le lac, ce matin, est affamé après une longue nuit sans lune. Affamé de lumière probablement. Sur le ponton deux silhouettes de pêcheurs sont immobiles devant leurs cannes pointées vers la surface huileuse de l’eau. Pas un brin de vent sur le lac, l’eau est limpide. De dos, je les reconnais aisément, ces deux loustics. C’est le marchand de sapins, avec son exploitation forestière étendue jusqu’au village voisin, et son comparse le marchand de sable, appelé comme ça parce qu’il exploite la carrière de pierre et de gravier derrière la forêt de sapins. Ils viennent pêcher là tous les dimanche matin quand leur emploi du temps le permet.
L’eau du lac est orange à cette heure-ci, elle reflète le réveil de l’astre matinal. Tout baigne dans cette lumière calme, on se croirait dans un tableau. Ou plutôt dans une aquarelle avec toute cette eau pour diluer les couleurs.
Je me trouve à une cinquantaine de mètres derrière les deux marchands, entourée de sapins encore endormis. Leurs cimes déploient une coupole sereine au-dessus de ma tête. L’humidité nocturne est encore bien présente et je frissonne de temps en temps. Je ressens pourtant la promesse d’une journée estivale où le soleil scintillera sur toute cette rosée matinale jusqu’à tiédir l’herbe et assoupir le vent.
Assise sur une branche de sapin, je me balance doucement d’avant en arrière, je ferme les yeux et laisse les effluves du matin envoûter mon cœur. J’aime ce moment de la journée, ce laps de temps entre nuit et jour, Ce n’est pas encore vraiment le matin, il manque encore quelque chose. Mais ce n’est plus la nuit. Un moment de paix profonde avant l’arrivée des estivants dans quelques heures. L’eau tourbillonnera de baigneurs, l’air sera saturé de relents de crème solaire et des cris d’enfants résonneront au-dessus du lac.
Soudain, un bruit sourd me fait rouvrir les yeux, un mélange de clapotis d’eau et de coups de bois. J’aperçois un bateau blanc, flambant neuf, un de ces bateaux de location pour des promenades sur le lac et sur la rivière en amont. Mais le service de location n’ouvre qu’à dix heures du matin. A cette heure-ci les bateaux sont normalement à quai. Je vois le bateau s’approcher de la douce bulle des pêcheurs avec, à son bord, une bande de jeunes, bien hilares. Des étudiants probablement, vestiges de la fête qui s’est tenue hier soir à l’occasion de la remise de diplômes au centre nautique. La salle avait été louée par l’école d’ingénieurs, une information que je tenais de mon cousin, étudiant en troisième année de cette école. Ils sont nombreux, à ce que je vois, un verre de bière à la main, un canotier de guingois sur la tête et des chuchotements ivres alternés de fous rires étouffés. Ça sent la fin d’une nuit de fête bien arrosée…
Arrivés à une vingtaine de mètres du ponton, ils ne tiennent plus et les rires éclatent bruyamment. Un vacarme intrusif dans ce calme élégant, un boucan irrespectueux vis-à-vis de ces deux pêcheurs placides. Je tends la nuque pour mieux voir. Ils sont une bonne quinzaine et se bousculent pour être tous du même côté, celui qui fait face au ponton. Ils se chamaillent, ils se poussent et le bateau tangue sans retenue sur la danse folle de ces gigolos d’une nuit. Le poids étant mal réparti maintenant qu’ils sont tous du même côté, le bateau commence à pencher de plus en plus dangereusement. Je crains que l’un d’eux passe par-dessus bord, tellement la situation est devenue critique. D’autant plus que l’eau est encore très froide en cette saison et leurs esprits manifestement très échauffés. Un dernier balancement suivi de nombreux cris inquiets et le bateau chavire. Les étudiants sont avalés en moins de deux par le lac affamé. Incrédule, je suis comme figée sur ma branche de sapin. Immobile, tout comme les deux pêcheurs. Quand l’eau est redevenue calme, le silence revient et aucun bruit ne vient le perturber. Sur le lac flotte le bateau blanc comme un orphelin, seul témoin de l’incident qui vient de se produire.
Quelques secondes plus tard, j’entends un bruit de sirènes descendant du chemin. Ou peut-être remontant des profondeurs… Je n’arrive pas bien à le localiser.
Plume
Je suis attachée à ma terre comme un épouvantail enraciné dans son champ.
La violence de l’arrachement me reste chevillée au corps où que le vent m’emporte.
Ailleurs je suis comme les oiseaux désorientés qui espèrent un vent multicolore pour souffler sur leurs plumes et leur montrer le chemin.
Quelles que soient les riantes couleurs que m’offrent les paysages, aussi suaves soient les parfums des voyages, aussi doux soient les murmures de la vie, l’ombre des souvenirs des lumières dansantes de ma forêt centenaire, des effluves odorantes de mes marécages chauffés à blanc, des murmures cristallins de ma rivière de sérénité, m’envahit et éteint les possibles.
Ailleurs je n’existe pas vraiment, je perds une part de mon essence, je suis une plante assoiffée aux feuilles jaunies.
J’ai besoin de ma terre pour me nourrir, de sa clarté pour me guider, de son souffle pour me porter.
Je suis de là et pas d’ailleurs.
Je ne sais pas partir, je ne peux que revenir.
Et rester, comme l’épouvantail au milieu du champ, pied dans la terre, bras en croix et sourire béat.
Syllabe