Atelier d'écriture janvier 2023 : Le fauteuil

Publié le par GFEN 33

 

Un atelier inspiré de notre expérience du confinement... Avec comme point de départ le livre de Xavier de Maistre "Voyage autour de ma chambre". Cela nous a permis d'imaginer la nôtre et d'en faire le tour également. Intimiste et propice à l'élaboration de textes très personnels.

L'échange en fin d'atelier a été un vrai partage entre les participants.

 

Voici quelques textes écrits ce soir-là:

Elle avait beau faire, à l’évocation d’un fauteuil dans une chambre c’était celui-là qu’elle avait vu et lui, dessus.
Elle avait beau savoir que désormais ce fauteuil était dans son salon et que la dernière personne à l’avoir occupé n’était pas le Papé, il restait là planté sur sa rétine, occupant tout l’espace de sa grande stature et de sa personnalité affirmée.
Alors elle l’avait interpellé. D’abord pour s’excuser, on ne dérange pas le Papé pour rien, pas même pour un impératif d’écriture.
Mais puisqu’il était là, autant en profiter pour papoter un peu.
Elle lui rappela qu’elle sentait sa présence, souvent, qu’elle le voyait sur ce trône.
Quand il repoussa un peu son béret en arrière, avec un froncement de sourcil, elle le rassura. Bien sûr qu’elle savait d’où elle venait et si par mégarde elle l’oubliait, ce modeste fauteuil de bois et de paille, qui n’avait rien d’un trône, lui rappelait ses origines.
Mais elle aimait bien jouer avec les mots, raconter des histoires… C’était comme ce petit flacon de la dernière eau de vie qu’il avait produite. Elle le gardait précieusement, racontait à ses invités la magnifique cave voûtée, les fûts alignés, le vieux bouilleur de cru dans la cour devant la maison… alors qu’elle savait pourtant que ce n’était que du tord-boyaux!
Elle lui montra aussi la bible de la Mamé sur l’étagère. Elle ne l’avait pas souvent ouverte mais il lui suffisait qu’elle soit là pour lui rappeler les valeurs qu’ils lui avaient transmises.
Le sourire en coin du Papé l’agaça. Avait-il jamais eu honte d’elle de ce qu’elle avait fait?
Elle avait gardé le respect d’elle même et ne s’était jamais laissée offenser par quiconque comme il le lui avait appris.
Certes, elle s’était quelque peu maltraitée avec les cigarettes, elle avait été excessive…Mais comment savait-il ça? Elle avait brûlé tant d’encens pour couvrir l’odeur du tabac!
C’était une époque révolue maintenant, les cendriers ne servaient plus qu’à la décoration.
Avait-il remarqué comme personne n’osait les salir tant ils étaient beaux?
Et puis elle se lança. Elle les avait beaucoup vus pendant le premier confinement, celui de mars 2020.
Devant l’air confus du Papé elle sourit: il n’imaginait pas passer inaperçu avec son 1,80 mètres  et ses 110 kilos, la Mamé à son bras? Même virtuel, il en imposait!
Ça l’avait aidée de les savoir là, de sentir leur amour.
Comme il baissait son béret sur ses yeux, elle le traita de vieux bourru et lui assena qu’il n’était pas interdit d’exprimer ses sentiments.
Puis elle rit en l’imaginant avec un masque, le béret sur les yeux: on n’aurait plus vu que le bout de son nez! Difficile alors de connaître ses pensées.
Mais là, elle pouvait lire ce qu’il avait dans la tête.
Avec l’âge elle avait acquis de l’expérience et maintenant il l’attendrissait plus qu’il ne l’impressionnait.
Devant son air dubitatif, elle sortit une calculette pour faire le compte des années.
Dans le miroir, quand elle se regardait elle retrouvait la Mamé.
Lui aussi devait trouver qu’elle lui ressemblait car il se mit à rire.
A ce moment précis elle savait ce à quoi il pensait:
« quelle belle tête de mule, celle-là, la race n’est pas perdue! »

Syllabe

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Christine était venue me voir le week-end précédant l'annonce. Je lui avais montré ma chambre que j'étais sur le point de refaire. C'est vrai que j'adorais toutes ces babioles que j'avais entreposées par ci par là, mon vieux miroir qui trônait à côté du livre relié que m'avait offert mon père et qui était orné d'un quartz, pierre que j'aimais toucher souvent car elle était douce, brillante et qui me surprenait parfois à me faire voyager. J'imaginais des contes des Mille et une nuit, des Sultans et des princesses à marier, des paysages fantastiques où dunes et montagnes se mêlaient..
Accroché au mur, j'avais aussi un masque de Venise qui me ramenait à chaque fois en Italie, où je déambulais dans les ruelles pour m'imprégner de la beauté de l'architecture. Le pont des soupirs, le Rialto, le canaletto, les gondoliers, ha que j'ai aimé cette ville sans ses touristes !
Macron fit son annonce, l'effroyable nouvelle tomba et la sentence du mot confinement et tout ce qui allait derrière, suivit. CON-FI-NE ! Mon dieu c'était la première fois que nous allions l'être !
Christine qui avait une vraie calculette dans la tête m'avertit qu'il me fallait faire des courses en urgence et me fit la liste des objets soi-disant indispensables à ma survie de jeune confinée. Je me souviens qu'il y avait entre autres des bâtons d'encens dans une boite jaune et surtout, une bouteille d'huile essentielle de Ravintsara. Le Ravintsara, comme vous le savez sûrement,  est un antiviral puissant et aide à assainir l'atmosphère de la maison. C'est bien la seule huile qui manquait à ma collection et Dieu soit loué, j’eus le plaisir d'en trouver !
Christine de son côté était triste de ne plus pouvoir aller en cours de musique. Ce qui me désolait de mon côté, c'était de ne plus voir Helmi et ses élèves mais çà, je viens juste de l'inventer car ce n'est que depuis un an que je viens à son atelier !
 
Fabienne
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C’était un mercredi d’hiver 2019 en début d’après-midi. Hiver pas si froid que cela en ce mois de décembre sûrement dû à ce putain de réchauffement climatique. J’arrivais sur le parking vide et sinistre, la maison de retraite grise et austère malgré sa rénovation se tenait là adossé à un parc dont la végétation était décharnée et mourante. A croire que tout ce qui entourait ce mouroir était au diapason. Chaque fois que je venais voir mon père, j’avais l’impression d’aller au cimetière voir les morts. Réellement mon père ne l’était pas encore, mais cérébralement, oui il l’était : saloperie d’Alzheimer.

Le peu de fois où je suis venu le voir, il était toujours assis sur un fauteuil dans sa chambre exiguë et sombre. Face émaciée, joues creusées, teint gris, il détournait à peine la tête à mon arrivée et quand il le faisait, je voyais ses yeux vides de toutes expressions humaines : plus de joie, plus de sourire, plus de vie. Un mort vivant.

Chaque fois, le voir dans cet état-là me faisait du mal, même si mon père et moi on ne s’est jamais vraiment compris. Je sais qu’il est trop tard aujourd’hui mais j’aimerais tant revenir en arrière et lui poser la question qui me taraude depuis longtemps : « ……………….. ? ».

Bruno

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Vienne

En revenant de la douche sur le palier, elle enleva son masque anti-Covid. Maintenant que son corps s'était réchauffé sous l'eau chaude bienfaisante, elle ne tenait plus sous ce morceau de tissu en fibres synthétiques qui l'empêchait de respirer pleinement. Elle le déposa sur la commode à côté du petit miroir de poche que son grand-père lui avait offert le jour où elle avait quitté la maison parentale. "Il en a vu d'autres", lui avait-il dit avec une pointe de fierté dans sa voix chevrotante, faisant allusion à son engagement dans l'armée lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle n'avait pas osé demander ce que son miroir avait vu "d'autres", laissant libre cours à son imagination. Un rasage matinal dans les tranchées brumeuses, des rayons de soleil reflétés pour émettre un signal, une auto-vérification semi-médicale d'une blessure sous la plante de pied, une balle ennemie ricochée sur le rabat métallique le jour où son grand-père avait dû le ranger précipitamment sur sa poitrine dans sa poche de gauche, un sourire de femme lors d'une application de rouge à lèvres, ou peut-être même un selfie éphémère avant l'heure avec ladite femme... En passant devant la commode, elle jeta un regard vers elle-même dans le petit rectangle et vit une jeune femme longiligne en chemise de nuit, cheveux blonds remontés derrière la tête avec une barrette, s'échappant par-ci par-là en petites touffes décontractées. Sans aucun signe de sommeil sur le visage émacié.

Maintenant elle était assise sur ce fauteuil bancale et tâché. Il y avait trois semaines déjà, elle l'avait signalé à son propriétaire, mais rien n'avait été fait. Il n'y avait qu'à s'en accommoder. Comme elle avait appris à s'accommoder de tout ce qui n'était pas suivi d'effet dans sa vie. Pas de travail stable, pas de contact ou perspectives en vue, pas d'amis, pas de petit ami, même pas d'animal domestique. Idem pour sa maigreur maladive, l'accompagnant depuis sa puberté et qui, à une époque, avait beaucoup inquiété ses parents. Ils ne lui en parlaient plus depuis quelque temps, à croire qu'ils s'en étaient accommodés également. On pouvait donc s'accommoder de tout. Quand elle sentit une lame de fond remonter de son for intérieur, avec une puissance croissante, elle tendit mécaniquement la main vers le poste radio. France Classique, quelques notes, un quatuor de Mozart comme une caresse émotionnelle et la vague passa son chemin direction le velux entr'ouvert. Dehors c'était l'été, dans son corps c'était l'automne. Elle reconnut le morceau et fredonna l'air avec cette mélancolie nostalgique qui la caractérisait depuis qu'elle était sortie du conservatoire. En fermant les yeux, elle se rappelait sa première fois en tant que violoniste de l'orchestre régional d'Auvergne, lors d'une soirée de gala en honneur de la venue du Dalaï Lama. Quel homme, quel charisme, quelle bienveillance. Avec son seul regard il avait réussi à emplir le vide abyssal dans lequel elle avait l'habitude de se retirer. Une expérience quasi-spirituelle, mais dont les ondes s'étaient éteintes progressivement, tels les ronds dans l'eau que l'on suit des yeux après avoir jeté un caillou dans un étang. Jusqu'à ce qu'elle retrouve le plomb de sa solitude, ses idées noires et ses nœuds au cerveau.

Elle était là, sur ce fauteuil et le lendemain se terminait le confinement. Depuis deux jours elle éprouvait une  appréhension pesante à l'idée de retrouver le monde, de sortir de cette solitude collective et imposée pour choisir de se réinstaller dans celle dont elle s'accommodait depuis si longtemps. Le contraste avec la réaction des autres n'en serait que plus grand. Une nouvelle vague arriva et une terrible envie de pleurer l'envahit dans ce moment où elle se penchait sur son sort. En cherchant à se raccrocher à quelque chose de concret, c'était son journal comptable qui la sauva. Elle attrapa sa calculette, nota les courses faites dans la matinée, additionna, multiplia, fit des soustractions et se surprit devant son inventaire à la Prévert : un éventail espagnol pour l'anniversaire de sa sœur, deux cordes pour son violon, un jeu de cartes pour jouer au solitaire et un flacon d'huiles essentielles pour "booster le moral", du moins c'était ce que la pharmacienne lui avait assuré. Consciencieusement elle calcula combien il lui restait pour finir le mois et, de nouveau, elle se sentit démoralisée. Malgré son appétit d'oiseau, cela ne suffirait pas. La suspension des manifestations culturelles, l'annulation des concerts prévus de longue date avaient eu raison de sa trésorerie. Pour rester dans l'action et ne pas succomber, elle ouvrit le flacon d'huiles essentielles et huma avec avidité les effluves pleines de fleurs et de couleurs qui lui laissaient entrevoir une perspective de reprise de concerts et d'entrées d'argent. Elle ferma les yeux et savoura. A ce moment-là son portable se mit à vibrer et effectua des micro-sauts sur la table de chevet. Un SMS manifestement, un numéro inconnu. Un numéro international même et sa curiosité était piquée. Ainsi que son espoir. Et si..., et si elle avait été retenue...? Avec précipitation elle se jeta sur son téléphone.

Je repose mon livre sur la table de chevet, un roman à l'eau de rose acheté la semaine dernière à la gare de Vienne après avoir rencontré les responsables et le chef d'orchestre de l'Opéra de Vienne. En étirant mon dos et ma nuque, je consulte les messages reçus sur mon téléphone et constate avec satisfaction que les Autrichiens ont finalement donné suite. La saison prochaine je serai bel et bien le premier violon de l'orchestre de l'Opéra de Vienne. Quel honneur, quel bonheur! Jérôme sera très content, lui qui rêve de s'installer dans cette capitale du Romantisme avec moi. Je l'appellerai demain matin pour lui annoncer la nouvelle. Depuis mon entretien et mon audition, il vit dans un tel état d'impatience amoureuse que je ne peux envisager mon installation là-bas sans lui. Son amour m'apparait non seulement sans limites, mais également sans frontières. Je ne suis pas sûre de l'aimer autant que, lui, il m'aime. Et parfois cela me met mal à l'aise, c'est une sensation à laquelle je fais face seule, un peu comme si je trichais avec lui en attendant mieux. En jetant un regard vers le ciel étoilé dehors, je me dis que commencer une nouvelle vie ensemble dans un nouvel endroit renforcera sûrement notre attachement mutuel. Ce poste sera le début de notre nouvelle vie et, inconsciemment, je vois défiler des images de bonheur familial, de réussite professionnelle et de reconnaissance mondiale. Avec Jérôme à mes côtés.

En souriant je reprends mon livre pour lire les dernières lignes de ce roman de gare digne d'un livret d'opéra. J'ai envie de connaitre la fin de la mélopée de cette musicienne qui m'interpelle. Je le regrette aussitôt, un frisson court le long de ma colonne vertébrale et une sensation de malaise s'installe.

Quand le chef d'orchestre lui demanda enfin sa main, elle resta sans voix. Lui et elle, le grand chef italien et la petite violoniste française, l'extraverti et la solitaire, eux deux, rien qu'eux... Les ondes du Dalaï Lama se remirent à se propager dans son cœur et, dans un élan langoureux, elle acquiesça de la tête. Oui, bien sûr qu'elle allait accepter cette main la tirant de la fosse d'orchestre, vers le haut, de sa solitude. Deux mois après ils se marièrent à Vienne et eurent ensuite beaucoup d'enfants.

Plume

Publié dans Le Levain 2022-2023

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