Atelier d'écriture novembre 2022 : Savoir compter jusqu'à dix
Nous avons passé notre soirée à compter. De un à dix. Des moutons, des hirondelles... Un vrai défi que d'insérer ces nombres entre nos mots. Lors des échanges en fin d'atelier, certains participants ont fait part de cette difficulté-là. Et oui, parfois les consignes nous dérangent et nous obligent à composer avec ou à s'en libérer. Heureusement que nous avons toujours le choix.
Voici quelques textes écrits lors de cet atelier:
Une hirondelle ne fait pas le printemps
Sur l’Île de Pâques une hirondelle fait le printemps, mais sur l’île où j’habite c’est loin d’être le cas. J’ai bien vu une hirondelle hier, mais elle n’a pas fait le printemps, le froid est saisissant aujourd’hui et la pluie abonde. Comment la douceur printanière aurait-elle pu nous envelopper en moins de deux aussi ? Ce n’est juste pas possible. Doté d’une baguette magique, j’aimerais pouvoir mettre en œuvre la formule « Un, deux, trois, soleil ! », mais les choses ne sont pas aussi simples.
Dans le jardin, j’entends jurer les sept nains en faïence, ils pataugent dans la boue depuis quatre semaines maintenant. Ils n’ont toujours pas pu faire les plantations prévues pour la belle saison et s’impatientent. Ils passent leur temps à arracher des touffes d’herbes qui en ont profité pour proliférer. Il faut bien faire quelque chose aujourd’hui, puisque l’hirondelle n’a pas fait le printemps.
Au bout de la rue, le grand huit de la fête foraine attend désespérément ses clients. Vide et avide, il déploie toute sa longueur dans l’espoir de pouvoir capter un rayon de soleil hasardeux. Déjà que le ticket coûte six Euros et que cette attraction n’est donc pas à la portée de toutes les bourses, mais la pluie en plus… Non, décidément, l’hirondelle n’est pas passée au-dessus des chariots et n’y a donc pas fait le printemps.
Personnellement j’avais prévu d’y monter aujourd’hui avec des collègues de bureau, l’histoire de fêter le retour de la douceur, mais compte tenu de la météo nous avons tous changé nos plans. Avec le secrétaire nous avons discrètement prévu un cinq à sept, bien au chaud et bien au sec à l’hôtel trois étoiles jouxtant la Foire. Parfois une hirondelle fait bien les choses.
J’ouvre mon parapluie après avoir remonté mon col et me mets en route. Mes pas résonnent comme si je versais maladroitement du thé à côté de la tasse, la pluie toque agressivement sur l’écran protecteur au-dessus de ma tête et le vent, en essayant de s’y engouffrer, est manifestement de mèche. Je presse le pas et entends encore plus de thé tomber à côté de la tasse.
En passant au pied de l’église du quartier, vestige religieux défiant la Foire, je m’aperçois que même Dieu s’en est mêlé. Sur le panneau d’affichage devant lequel je me suis arrêté, je lis qu’aujourd’hui débute la neuvaine pour « faire venir le printemps ». J’essaie d’imaginer… Dieu donne un coup de main aux hirondelles, ce n’est pas beau ça ? Neuf jours de prières susurrées, de dévotion étalée parce que l’hirondelle n’y arrive pas toute seule. Mon attention est attirée par un léger murmure venant de l’intérieur. J’avance sous le portail orné de vérités et de promesses en pierre. Je penche la tête et, avec consternation, je vois dix petits nègres, pieusement agenouillés, s’évertuant à se transformer en hirondelle.
Plume